mercredi 12 juin 2013

LES LIMITES DE LA LIBERTE DE LA PRESSE

Au moment où de nombreux medias togolais confondent liberté et licence, il est important de méditer l'excellent article du journal le Monde sous la plume de pascale Robert-Diard -DSK : le procès de l'édition et de la presse LE MONDE | 27.02.2013 Par Pascale Robert-Diard Dominique Strauss-Kahn était présent lors de l'audience au Palais de justice de Paris, mardi 26 février. | AFP/KENZO TRIBOUILLARD "L'édition et la presse ont perdu leur boussole, c'est à vous de leur indiquer le Nord", avait lancé Me Richard Malka, l'un des avocats de Dominique Strauss-Kahn, à l'adresse de la juge Anne-Marie Sauteraud, saisie d'un référé contre le livre de Marcela Iacub, Belle et Bête (Stock, 128 p. , 13,5 euros), qui raconte sa liaison avec l'ancien président du FMI, et contre le Nouvel Observateur, qui en a publié les bonnes feuilles au nom de la qualité littéraire de l'ouvrage. L'avocat a été entendu. "Les limites de la liberté d'expression ont été dépassées et le droit à la liberté de création ne peut prévaloir sur les atteintes à la vie privée, qui sont caractérisées", indique le jugement rendu mardi 26 février, à Paris. Si elle n'ordonne pas la saisie du livre, sollicitée à titre subsidiaire par la défense de Dominique Strauss-Kahn, la décision fait droit à la demande d'insertion d'un encart informant le lecteur de la condamnation pour "atteinte à la vie privée" dans chaque exemplaire du livre de Marcela Iacub, "avant toute diffusion" de l'ouvrage, dont la sortie était prévue le 27 février. La juge a aussi ordonné à l'hebdomadaire la diffusion d'un communiqué judiciaire couvrant la moitié de sa "une", un traitement ordinairement réservé à la presse "people". L'éditeur, l'auteure et l'hebdomadaire ont en outre été condamnés au versement de dommages et intérêts à Dominique Strauss-Kahn, à hauteur de 50 000 euros pour Marcela Iacub et les éditions Stock, et de 25 000 euros pour le Nouvel Observateur. DSK : "CETTE AFFAIRE ME DÉPASSE" Présent à l'audience – alors que ni Marcela Iacub ni Laurent Joffrin, le directeur de la publication du Nouvel Observateur, ne s'étaient déplacés –, Dominique Strauss-Kahn a été le premier à ouvrir le procès de l'édition et surtout de la presse, à travers la mise en cause de l'hebdomadaire qui a assuré le lancement de Belle et Bête. "Est-ce que tout est permis pour gagner de l'argent ? Tirer sur un homme déjà assez à terre sans même lui donner la parole pour dire si ce qui est raconté est vrai ou pas ? Sommes-nous dans un monde où il suffit que quelqu'un dise quelque chose pour que ceci fasse la 'une' d'un hebdomadaire ? Cette affaire me dépasse. Il faut donner un coup d'arrêt à une dérive des éditeurs et de la presse, qui sont prêts à faire n'importe quoi pour de l'argent", a-t-il déclaré. Comme elle fut terrible, ensuite, la lecture par l'un de ses avocats, Me Jean Veil, de cet article écrit par Laurent Joffrin en février 2012, dans lequel l'ex-patron de Libération se défendait d'avoir refusé que l'on enquête sur la vie privée de DSK. "Le droit à l'intimité familiale, à la discrétion sur sa vie sexuelle ou affective, au secret sur tel ou tel aspect de son comportement privé, fait partie des droits élémentaires de la personne. Les intrusions de la presse dans ce territoire protégé ne peuvent ressortir que du régime de l'exception", écrivait alors Laurent Joffrin, qui poursuivait : "Chacun a le droit de mener la vie qu'il mène sans être sans cesse exposé au jugement public. Si l'on va au-delà, la pente est dramatique. (...) Veut-on vraiment voir se développer en France l'équivalent de la presse Murdoch, qui fait argent du viol systématique de la vie privée et couvre ses pratiques honteuses des oripeaux mités de la liberté de la presse et de la presse de caniveau ?" De la conclusion de cet article, publié il y a un an, Me Jean Veil a détaché chaque mot : "Je conçois mal le progrès civique qu'il y aurait à favoriser la naissance d'une déontologie journalistique en forme de trou de serrure." ME LECLERC : "UNE AFFAIRE QUI ME DÉGOÛTE" Mais c'est bien évidemment à Me Henri Leclerc qu'il revenait de prononcer, au nom de Dominique Strauss-Kahn, le réquisitoire le plus sévère contre le choix assumé par l'hebdomadaire d'accorder autant de place au livre de Marcela Iacub. Evoquant la réponse de Laurent Joffrin à la polémique sur la publication des bonnes feuilles de Belle et bête – "ça me fait rire les leçons de morale. D'un côté, on se plaint que la presse va mal, de l'autre côté, on crie au scandale quand un hebdomadaire veut augmenter ses ventes" –, Me Leclerc a observé : "Aurais-je cru qu'un jour, dans cette chambre où j'ai tant défendu la liberté de la presse, je plaiderais dans une affaire qui me dégoûte et me bouleverse ? Au-delà de ma révolte, j'ai une nostalgie. J'ai connu les débuts de France Observateur. Que diraient-ils aujourd'hui, Claude Bourdet et Maurice Clavel, du journal qu'ils ont créé ? Laurent Joffrin condamne la presse de caniveau mais il devient la presse de caniveau", a tonné l'avocat et ancien président de la Ligue des droits de l'homme. "Où est le respect de l'éthique journalistique ?, s'est interrogé Me Leclerc. La liberté de la presse, la liberté de la création sont des piliers de la civilisation. Mais si cette liberté cède devant l'argent, si tout journal pour subsister se met à descendre à ce niveau, alors tout est possible et nous entrons dans la barbarie." CRUEL MIROIR La réponse de Me Didier Leick, l'avocat du Nouvel Observateur, a tenu en quelques phrases : "Un journal est libre de choisir entre une œuvre littéraire et les otages du Mali ce qu'il veut mettre à la 'une'. Quand on est directeur d'un journal, on n'a qu'un seul juge, les lecteurs."Ce pourrait bien être l'ultime paradoxe Strauss-Kahn. Par les multiples affaires auxquelles son nom est attaché, il a imposé sa vie privée dans la sphère publique. Mais il est aussi celui qui, aujourd'hui, tend à la presse le cruel miroir des dérives auxquelles elle a cédé. Pascale Robert-Diard

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire